Les petits lapins

Le petit lapin au pelage fauve s'ébrouait dans la garenne boisée et sablonneuse. Il retrouvait là ses copains et se livrait à toutes sortes de poursuites et galipettes en leur compagnie, dans l'herbe encore toute humide de la rosée du matin. Parfois, il s'asseyait sur ses pattes arrières, dressant ses oreilles garnies d'un fin duvet blanc, et humant l'atmosphère pour y détecter une subtile odeur de thym (son régal!) que lui apportait la brise matinale, pour pouvoir vite aller s'en repaître.

Ce matin-là, il huma une odeur toute différente, une odeur ambrée, empreinte de finesse et de douceur, qui aussitôt le ravit. Il se précipita et, caché derrière une touffe d'ajoncs, il découvrit un spectacle qui le bouleversa: dans une clairière bien protégée, il aperçut une petite lapine blanche, aux yeux bleus et au poil angora, qui s'activait entre de petites touffes fleuries et quelques hautes feuilles vertes, alors que la maman lapine sortait parfois son nez du terrier pour échanger avec elle des recommandations maternelles. Il s'approcha: la petite lapine l'aperçut et resta immobile, les pattes rentrées sous elle, en attente. Le petit lapin au pelage fauve s'approcha: ils échangèrent un regard. Encouragé, il s'approcha et posa délicatement sa tête auprès de la sienne: un long frisson les parcourut: ce fut un signe, désormais ils ne se quittèrent plus!

Ils partagèrent désormais leurs jeux, s'aventurèrent hors de la clairière et le petit lapin offrait à sa compagne les plus belles fleurs qu'il trouvait et les branches de romarin les mieux garnies, tandis que la petite lapine avait créé un petit nid accueillant dans un coin du terrier. Les copains du lapin avaient beau lui conter les merveilles qu'ils avaient découvertes dans les terres lointaines et les paradis de thym et de laurier qui s'offraient à eux, celui-ci restait fidèle à son petit enclos et à sa jolie compagne angora, d'autant plus que deux petites lapines adorables étaient venues couronner leur union. La maman les léchait consciencieusement chaque matin et leur réservait les pousses les plus fines choisies parmi les herbes que rapportait papa lapin.

Mais cette vie idyllique se termina un beau matin lorsque le petit lapin entendit, de l'intérieur de son terrier, un bruit épouvantable: il jeta un œil à l'extérieur et vit avancer lentement un soc métallique de charrue. Vite, il rassembla sa famille et tous s'enfuirent à toutes pattes vers la zone boisée voisine où les charrues ne pouvaient pas pénétrer. Là, ils creusèrent un nouveau terrier, ce qui n'était pas facile car ils devaient couper de nombreuses racines; mais ils en plaisantèrent en disant que leur "résidence secondaire"avait bien des avantages: en effet, juchés sur la colline, ils pouvaient voir arriver ces gros lapins à deux jambes qui leur semblaient si menaçants, et aller se terrer pour leur échapper.

Les copains du lapin n'eurent pas la même sagesse: bravant les envahisseurs, ils continuèrent leurs gambades sur la garenne. Ils entendirent d'abord des aboiements: ils détalèrent aussitôt mais s'effondrèrent quelques mètres plus loin, la tête criblée de balles. C'est ainsi que leur intrépidité les conduisit directement au barbecue des chasseurs.

La famille angora assista, désolée, à cette hécatombe et la leçon resta bien ancrée dans la tête des deux petites lapines qui commençaient à lorgner vers de petits lapins venus de loin, se réfugier dans la forêt bienfaisante.

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